Portrait de Pascal NICOLAS-Le Strat

Ceci n’est pas un journal. Même si, du journal, les textes proposés sur ce blog conservent l’esprit rubricart. Je chronique mon activité de sociologue en partageant fragments d’expérience, interactions d’enquête, expérimentations de méthode, bruissements des implications, joies et angoisses, tentatives et tentations théoriques, balbutiements-terrain, plis, déplis et replis de la recherche. Je me prête à ces racontances sans rythme particulier, au gré des bonnes et mauvaises fortunes de mon travail de chercheur.

  • Lundi 31 octobre 2022. Faire recherche depuis un éprouvé

    Le 5 octobre 2022, j’intervenais lors des rencontres annuelles de l’École Universitaire de Recherche ArTeC (Arts, Technologies, numérique, médiations humaines et Création), Université Paris 8 et Université de Nanterre, qui a soutenu, pendant trois années, nos travaux en quartiers populaires [1]. Cette parole conférencière, je l’ai portée en complicité avec deux ami·es. Nous étions convenu·es d’engager notre propos « depuis » un lieu ou un geste. Marie Preston a contribué à partir de ses ateliers « Pain commun », ses pratiques boulangères et ses « rondes de maies » [2]. Nicolas Sidoroff, lui, à partir d’un garage en pied d’immeuble, dans une cité de Grands ensembles, dont les usages spontanés prennent par surprise la recherche-action à qui ce lieu avait été transitoirement concédé.

    Pour ma part, j’ai pris la parole un gravat à la main, au sein de laquelle il est resté sagement. Même si je reste attaché à l’imaginaire politique de l’envoi de pavés ; en conférence, je m’abstiens de faire voler les gravats.

    Ce gravat raconte une histoire, celle d’une Maison des associations, située dans une cité populaire de la périphérie de Dunkerque, qui a été détruite, sans information ni consultation de la population, alors qu’un projet de rénovation urbaine s’engageait. Le premier acte de cette rénovation aura donc été d’abattre l’unique « lieu commun » du quartier.

    Pour les dictionnaires, gravats est un nom masculin pluriel. Pour la recherche, il s’écrira au singulier car je ne fais pas recherche depuis des gravats anonymes, quelconques, de nulle part. Je fais recherche depuis ce gravat singulier, récupéré au sol suite à une démolition. Devenu instrument de la recherche, il s’orthographie donc au singulier. Ce gravat est la trace d’une violence faite à une population. Ce gravat est le signe du mépris dans lequel peuvent être tenues les personnes racisées et paupérisées. Ce gravat est un cri de rage. Ce gravat raconte une colère, une incompréhension mais aussi une lassitude provoquées par cette énième maltraitance. Ce gravat a éprouvé le chercheur que je suis. Ce gravat a ému le citoyen que je ne cesse d’être lorsque je travaille en recherche-action. Ce gravat écrit, inscrit, signe une épreuve. Et c’est à partir d’elle que je fais recherche, et que je prends la parole et viens en écriture. Je fais recherche depuis un gravas. Je fais recherche depuis un éprouvé.

    Ce gravat raconte donc une histoire.

    Cette Maison des associations étaient implantée au milieu des cités Jean Bart et Guynemer à Saint-Pol-sur Mer. Son bâti en façades rosées, et composé de petits modules, contrastait fortement avec les bâtiments du quartier, tous en briques apparentes, dans une architecture classiquement du Nord. Elle proposait de nombreux services de proximité et constituait un lieu de vie important. Elle a donc été abattue. Avec Louis, nous avons mené l’enquête pour en comprendre les raisons. Il y a d’abord la décision de la Mairie de déplacer les activités de cette Maison vers un nouveau lieu, en périphérie du quartier. Le bâtiment s’est donc trouvé vacant. Mais un bâtiment ne reste jamais longtemps vide d’usage. Et les usages qui ont fini par prendre possession de cette maison laissée en friche n’étaient pas ceux attendus par les habitants, en particulier les voisins immédiats. La destruction du bâti a donc fini par s’imposer dans l’esprit de tout le monde. Cet exemple est assez symptomatique de ces « politiques de l’abandon », qui ne laissent plus d’autres solutions que la destruction – un bâti laissé inoccupé se dégradant rapidement. Ce qui est arrivé à cette Maison raconte une histoire trop fréquemment vécue en quartiers populaires : des immeubles dont l’entretien laisse à désirer, des réparations nécessaires qui tardent à être réalisées, des conditions de vie qui deviennent difficiles et des habitant-es partagés entre colère et découragement. Et, en conclusion « logique » de cet abandon, un programme de rénovation vient proposer « la » solution, à savoir la destruction, ainsi que le critique sèchement Patrick Bouchain [3].

    Un habitant nous a raconté cette opération de démolition. Les murs en béton et solidement ferraillés ont vaillamment résisté aux mâchoires de la pelleteuse. La Maison des associations est tombée avec les honneurs.

    Avec la disparition de la Maison des associations, c’est tout un éco-système relationnel qui est mis à mal. Personne ne peut penser que des services de proximité relèvent d’une « simple » réponse technique et administrative, et qu’ils peuvent être déplacés et relocalisés comme si de rien n’était, comme si toutes choses restaient égales par ailleurs. Ils sont indissociables d’un ensemble d’habitudes, de liens de confiance établis avec le temps, d’entraides entre voisins, d’arts de faire le quotidien… Une Maison des associations construit une réelle écologie de vie, d’autant plus précieuse que lente à se développer, et donc d’autant plus précieuse à préserver. Les milieux de vie sont fragiles. Ils le sont en quartier populaire [4].

    Il n’est plus acceptable socialement (car plus accepté), en particulier pour les jeunes générations, de programmer un nouvel équipement (voirie, bâti…) sans en mesurer précisément l’impact, l’impact sur l’air et les sols, l’impact sur les espèces végétales et animales qui s’en trouvent affectées. Et, conséquemment, il n’est donc pas acceptable non plus d’agir sur un plan urbain sans porter une grande attention aux effets de cette action sur les milieux de vie concernés (les socialités, les voisinages, les cultures…). Un bâti n’est jamais uniquement un bâti mais toujours une écologie de pratiques et d’usages. Un équipement n’est jamais simplement un équipement, mais toujours une écologie relationnelle et mentale (des symboles, des imaginaires, des besoins, des désirs, des savoirs, des expériences…). La qualité écologique d’un projet urbain se juge donc à cette échelle, à cette mesure, en tant que projet écosophique comme l’entend Félix Guattari. L’écologie est donc (aussi) un art de faire le quotidien.

    Porter attention aux milieux de vie tels que le passé les a constitués, ce n’est pas un conservatisme. Au contraire, tout montre la capacité inverse. Les quartiers populaires ne cessent d’inventer, de créer, de s’adapter tant les enjeux de vie y sont éprouvants. Les milieux de vie peuvent se transformer, les quartiers évoluer… mais il n’y a de transformation émancipatrice que si, en première intention, comme premier geste, ces milieux de vie sont « considérés » et respectés pour ce qu’ils font exister et pour ce qu’ils rendent possible. Et c’est dans et par cet élan écosophique que des transformations peuvent s’envisager et se réussir.

    Cette destruction de la Maison des associations forme pour nous, chercheurs, un authentique « site de problématisation », à savoir une situation (un site) qui donne forme à un grand nombre de problèmes et qui appelle donc leur mise en discussion démocratique. Cette destruction fonctionne comme un révélateur, un analyseur et ils nous importent de comprendre ce qui se dévoile à cette occasion. Qu’est-ce que cette situation nous fait comprendre, nous aide à comprendre ?

    La destruction de la Maison des associations représente pour nous un « cas de figure » qui concentre de multiples pistes de questionnement. Il constitue une sorte de « réserve de recherche », à savoir une situation où se sont « déposés » nombre de questions et problèmes. Cette situation fait alors repère ; elle nous aide à nous repérer parmi les multiples variables et facteurs à l’œuvre dans les réalités urbaines d’un quartier. Elle fait aussi référence, en nous permettant de nous rapporter à une situation ayant déjà existé, ayant déjà été vécue. Pour Howard Becker, « Le principe opératoire est simple : on suppose que ce que l’on trouve dans un cas sera présent dans les autres, sans doute sous une forme assez différente pour qu’on ne l’ait pas remarqué d’abord, jusqu’à ce que la présence de cet élément dans le premier cas nous mette la puce à l’oreille ». Il s’agit donc « d’utiliser ce que l’on sait d’une situation pour savoir quoi chercher dans une autre, en partant du principe que ces deux cas doivent avoir d’autres aspects en commun » [5]. Il devient alors possible de « lire » les nouvelles situations grâce à ce que l’on a pu « lire » (découvrir) grâce à une situation antérieure qui fait alors repère et référence, et qui sollicite donc fortement notre attention (elle nous aura mis la puce à l’oreille).

    Quant à la Maison des associations, son absence la rend d’autant plus présente, au moins pour notre travail de recherche. Sa destruction fait émerger de nombreuses questions qui, elles, insistent durablement. Notre sociologie relève alors, à ce titre, pleinement d’une hantologie, pour reprendre un néologisme avancé par Jacques Derrida en s’inspirant de la célèbre déclaration de Karl Marx : « un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme ». Un spectre (démocratique) hante le quartier Jean Bart / Guynemer, le spectre de la Maison des associations, pour toutes les questions que sa destruction soulève et pour tous les problèmes d’intérêt public qui prennent forme à cette occasion. En reprenant librement, peut-être intempestivement, à notre compte la proposition de Jacques Derrida dans Spectres de Marx [6], nous avons donc fait recherche avec feu la Maison des associations, une maison dont la destruction perturbe le présent du quartier mais qui, surtout, possiblement, hante son futur. Faire recherche depuis un éprouvé. Faire recherche à l’épreuve du passé. Recherches d’outre-tombe.

    Faire recherche depuis un éprouvé recouvre deux perspectives épistémopolitiques. La première renvoie à l’idée que jamais un chercheur ne fait recherche depuis nulle part et qu’il le fait nécessairement sur un mode situé et impliqué, tant son regard, son écoute et son intellection sont « saisis » dans et par les rapports sociaux qui l’affectent quant aux conditions de genre, de sexe, de race, de statut institutionnel, de classe ou, encore, de hiérarchie symbolique et matérielle des savoirs dans lesquelles il est positionné ; son engagement de recherche n’est pas dissociable non plus des relations à l’autre et à soi, au sein de la vie quotidienne de la recherche, qui interpellent sans cesse son faire et son penser dans une économie des ressentis, des sentiments et des désirs si troublants à élucider. La deuxième caractérise un régime de fiabilité des savoirs qui s’établit peu à peu à travers la « mise à l’épreuve réciproque » des observations et analyses dans le cadre du processus de recherche. La recherche se développe alors sur un mode spiralé, chaque connaissance nouvelle « éprouve » celles qui tendaient à faire évidence, chaque interprétation originale est l’occasion de « risquer » à nouveaux frais les acquis de la recherche, chaque observation imprévue expose l’état des connaissances à de nouvelles tentatives d’analyse et de signification. Un savoir de recherche prend forme de la sorte, peu à peu, sur ce mode spiralé, fondamentalement en tant que savoir « éprouvé », un savoir qui se forge grâce à cet effort jamais relâché pour confronter, interpeller et controverser, dans un geste profondément démocratique, les constats, interprétations et analyses qui œuvrent au sein des groupes et des expériences impliqués par la recherche.

    Cette épistémopolitique relève forcément d’une « praxis » ; elle ne peut se réaliser qu’en régime praxique. Elle introduit un « plan » sur lequel, dans un rapport égalitaire, les différentes connaissances parviennent à s’indexer afin de pouvoir se rencontrer et s’éprouver réciproquement. Ce « plan », ce « plateau » ou, encore, cette « dimension » s’incarne dans des moments structurés de discussion, sous la forme de « sites » où des questions prennent forme et sont travaillées ensemble (des « sites de problématisation »), à l’occasion de temps pris en commun et dédiés spécifiquement à ce travail de présentation / discussion des thèses et hypothèses de la recherche.

    Elle s’inscrit dans une perspective substantiellement matérialiste car la recherche n’est jamais dissociée des conditions dans lesquelles elle s’exerce, des conditions d’appartenance, de statut, de vie, de violence, de désir, de précarité, de souffrance physique ou psychique – des conditions qui marquent celles et ceux qui font recherche ensemble et créent irréductiblement le possible (et l’impossible) de la recherche.

    Elle s’apparente à un « commun » dès lors que les connaissances nées de la recherche ne sont la propriété (symbolique ou matérielle) de personne en particulier et qu’elles tendent, possiblement, à devenir l’affaire de toutes et tous. Elle ne relève certainement pas des prérogatives ou des privilèges du seul chercheur. Cette épistémopolitique, qui ne conçoit la recherche que depuis un éprouvé, présuppose une interdépendance choisie, une dépendance réciproque élaborée avec méthode et espoir entre personnes concernées, afin que chaque connaissance de recherche produite ne puisse être rattachée à aucun acteur considéré isolément mais à toutes et tous à travers un jeu spiralé d’interpellations réciproques et de mises à l’épreuve démocratique.

    Elle procède logiquement sur le modèle d’une « méthode de l’égalité ». Ce construit épistémologique ne relève pas prioritairement d’un choix (d’une préférence politique) mais, plutôt, d’une nécessité (d’une condition politique). En effet, s’il n’existe de production de recherche que sous la forme d’une « mise à l’épreuve réciproque », si cette mise à l’épreuve fondamentalement démocratique conditionne l’existence même de la recherche puisqu’elle en fonde la fiabilité (sa pertinence, sa véracité), alors nécessairement, inévitablement, chaque connaissance entrant dans cette spirale joyeuse et créative « doit » (une nécessité) être reconnue pleinement pour sa valeur, et considérée à la mesure de sa contribution essentielle, fondatrice, au processus. L’égalité des intelligences et des pertinences est donc présupposée car cette épistémopolitique de « la recherche depuis un éprouvé » suppose une interpellation démocratique des connaissances sur le même plan de considération ; c’est à cette condition politique qu’un faire recherche émancipé peut s’envisager.

    [Ajout du vendredi 02 novembre 2022. Ce matin, j’ai effectué une dernière lecture de mon texte « Une lecture éprouvée » en vue de sa publication dans le numéro 9 de la revue Agencements. Recherches et pratiques sociales en expérimentation. Cet article rejoint un dossier consacré au handicap et au validisme. Je l’ai écrit il y a déjà longtemps et j’y partage l’expérience de ma déficience visuelle. Il était disponible en ligne, pas nécessairement beaucoup lu, ni très connu ; Louis Staritzky l’a déterré pour construire ce dossier de la revue. Cette publication marque pour moi un tournant. Je n’ai jamais hésité à évoquer mon handicap et j’ai donc eu l’occasion à quelques reprises, dans ce texte en particulier mais aussi dans des correspondances, d’écrire à propos de mon handicap (un exercice qui m’est familier car j’ai éduqué une forte capacité à expliciter mes implications), et donc de venir en écriture au plus près de cette expérience, mais je ne m’étais jamais confronté à la question de savoir si j’écrivais en tant que personne handicapée, depuis cet éprouvé. Écrire à propos ou écrire depuis : le déplacement pour moi a été majeur. Est-ce que j’écris depuis l’éprouvé de mon handicap ? Est-ce que je fais recherche en tant que personne en situation de handicap ? Est-ce que je revendique de faire recherche et d’écrire depuis cette condition ? Est-ce que cette position construit quelque chose d’intéressant sur le plan de ma pratique d’auteur et de chercheur ? Le dossier réunit deux autres articles qui ont largement contribué à cette prise de conscience. Mon texte co-habite avec celui de Laur Pontak, « Roule ou crève. Tips de lutte anti-validisme mais, surtout, pour mieux vivre sa vie handi », qui, elle, assume pleinement d’écrire à propos de son expérience handie en tant qu’handicapée, et avec celui d’Alejandro Van Zandt-Escobar, « Le handicap, ça me concerne », qui, pour sa part, « découvre » sa condition de valide à l’occasion d’une recherche et en problématise les enjeux (le validisme). Est-ce que j’appartiens à la communauté handie ? C’est la question que m’adresse le texte de Laur. Dans quelle mesure le validisme hégémonique m’affecte ? C’est la question que m’adresse l’article d’Alejandro. Comment puis-je m’en saisir ? Qu’est-ce que je parviendrai à composer avec elles ? Qu’est-ce que je suis prêt à assumer à cet « endroit », l’endroit d’une interpellation (par les deux articles avec lesquels mon texte vient s’articuler pour composer le dossier de la revue) et à l’endroit d’un éprouvé (à la portée épistémopolitique, pour moi, non encore conscientisée, encore moins élaborée) ? Les leçons de vie se nichent souvent (en tout cas pour moi) dans des infimes, et j’aime faire recherche avec eux. Quelques semaines après le bouclage de mon article, je participais à un séminaire de travail à Tourcoing, avec l’équipe de La Parenthèse avec laquelle je fais recherche depuis quelques mois. L’animatrice de la rencontre a proposé, dans une affinité très « animation » et « éducation populaire », quelques jeux en ouverture de la matinée, afin de « dégeler » les relations et de favoriser les rencontres sur un mode joyeux et décontracté. L’un des jeux était celui des « chaises musicales » ; au signal, chacun doit quitter son siège et, dans la précipitation, en trouver un autre, en sachant que numériquement il en manque un. Nécessairement à l’issue de cette aimable bousculade, une personne se retrouve debout, toutes les chaises étant déjà occupées. Ce protocole incorpore un présupposé validiste, à savoir l’égale capacité, d’une part à saisir du regard une situation pour s’y déplacer, et d’autre part à se mouvoir physiquement avec dextérité en contournant les autres, en les évitant et, surtout, en les prenant de vitesse. Ce jeu m’a mis inévitablement en difficulté. Ma déficience visuelle m’oblige à prendre un temps avant de me lancer ; je ne peux pas agir aussi spontanément que d’autres. Je ne suis pas aussi habile. Je suis plus lent et plus emprunté. Il est heureux, pour la dynamique de la journée, que ce jeu ait eu lieu. Par contre, avec le recul, j’aurais dû me désister. Mais comment le faire sans ouvrir, sur le moment, une discussion « impraticable », créer une gêne et apparaître comme le rabat-joie et le trouble-fête ? Donc j’ai fait. Comme les autres. Mais plus maladroitement. Mon handicap visuel m’a fait éprouver la situation de manière différente, et m’a fait mesurer la matérialité, l’effectivité, d’un validisme jamais interrogé, qui s’incorpore dans les « arts de faire » ordinaires et s’assimile à eux. Mais, effectivement, comment prendre la parole à cet « endroit » ?].

    Pascal NICOLAS-LE STRAT

    [1] Je retiens cette dénomination « quartier populaire », sans l’essentialiser, en étant conscient, bien sûr, puisque je vis et travaille dans ces quartiers, que chacun est singulier et abrite un milieu de vie qui lui est propre, même si tous ces quartiers (ces cités) relèvent d’une longue histoire commune, indissociable de l’histoire coloniale française, celle de la relégation de populations racisées et paupérisées en périphérie. Cette désignation « quartier populaire » est revendiquée, depuis longtemps, par nombre de collectifs de lutte qui se développent dans ces territoires. Voir, par exemple, l’ouvrage coordonné par Zouina Meddour et Saïd Bouamama, Femmes des quartiers populaires en résistance contre les discriminations, Le Temps des cerises, 2013.

    [2] Avec son projet PAIN COMMUN, Marie Preston a réuni à Saint-Denis (93) un groupe de femmes autour de la fabrication de pains, vue comme une pratique partagée pour « laisser croître la connaissance » : https://www.marie-preston.com/fr/Projets/Le_Pain_Commun__2018/.

    [3] Patrick Bouchain, « Construire autrement ». Entretien avec Joseph Confavreux, Médiapart, 18 juin 2014, 21 mn 30 s (sur les enjeux de démolition), 24 mn 30 s (sur une vision patrimoniale du logement social). En ligne : https://www.mediapart.fr/journal/france/180614/construire-autrement-avec-patrick-bouchain?onglet=full/.

    [4] Pour caractériser ces écologies propres à des quartiers populaires, je reprendrais, en la déplaçant, l’heureuse formulation de Cy Lecerf Maulpoix, des écologies déviantes. « Dans quelle mesure est-il possible de composer avec nos privilèges, nos vulnérabilités, nos expériences minoritaires, nos corps et nos possibilités psychiques ? », « Il est important de ne pas céder à la moralisation transmise par le pouvoir. Et de ne pas oublier que là encore, les accusations d’hystérie, de sauvagerie, de radicalité toxique appliquées aux groupes de femmes, aux groupes raciséEs ou aux groupes transpédégouines ont souvent témoigné de grilles de lecture et d’un langage hétéropatriarcaux et coloniaux dans lesquels nous vivons encore », in Écologies déviantes (Voyage en terres queers), Éditions Cambourakis, 2021, successivement p. 262 et 261.

    [5] Howard S. Becker, La bonne focale (De l’utilité des cas particuliers en sciences sociales), La Découverte, 2016, successivement pp. 50 et 65.

    [6] Jacques Derrida, Spectres de Marx, Éditions Galilée, rééd. 2006.